Terres rares : vers une crise géopolitique mondiale ?

Les terres rares, piliers invisibles de la transition énergétique, alimentent notre quotidien numérique tout en bouleversant les équilibres géopolitiques mondiaux.

Le pétrole a façonné le XXe siècle, les terres rares pourraient définir le XXIe. Invisibles, elles alimentent nos smartphones, nos éoliennes, nos missiles. Leur extraction détruit des régions entières, leur commerce redessine les rapports de force mondiaux. Métaux critiques, les terres rares sont devenues un levier de puissance, une source de tension et la matière première incontournable de la transition énergétique.

A LIRE AUSSI
Géopolitique : où nous conduisent les populismes ?

Des métaux critiques omniprésents dans notre quotidien

Dès que vous éteignez votre réveil sur smartphone, les terres rares sont là. Dans vos écouteurs sans fil (aimants au néodyme), dans l’écran LCD (europium, yttrium), dans le moteur de votre aspirateur ou de votre vélo électrique. Et aussi dans l’IRM de votre hôpital, la batterie de votre voiture hybride, la fibre de votre box internet. Invisibles à l’œil nu, elles sont pourtant le fil conducteur de notre quotidien connecté, miniaturisé, électrifié.

Ces métaux aux noms parfois ésotériques — praséodyme, samarium, gadolinium — sont à la fois les moteurs et les contraintes techniques de notre basculement vers une société post-carbone.

Une extraction complexe

Les terres rares regroupent 17 éléments chimiques aux propriétés proches, mais dont la séparation est longue, coûteuse et polluante. Contrairement à ce que leur nom suggère, elles ne sont pas si rares : le cérium est même plus abondant que le cuivre dans la croûte terrestre. Mais elles ne forment que très rarement des gisements concentrés.

Deux minerais, la bastnäsite et la monazite, concentrent l’essentiel de la production mondiale. Ce sont eux qu’on raffine pour obtenir le précieux néodyme (aimants), le lanthane (batteries), ou l’yttrium (luminophores).

Leur séparation a longtemps été un casse-tête chimique. Il faut parfois des centaines d’étapes de purification. L’exploitation industrielle ne commence véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale, puis s’accélère dans les années 1970 avec l’essor de l’électronique grand public.

Domination industrielle chinoise sans partage

Au cœur de cette dépendance moderne, un acteur central : la Chine. Elle détient 37 % des réserves mondiales connues et produit à elle seule 60 % des terres rares (et jusqu’à 85 % de leur raffinage). Le gisement géant de Bayan Obo, en Mongolie intérieure, alimente une filière industrielle complète, intégrée, et soutenue depuis les années 1990 par une stratégie d’État.

Ce choix industriel a payé : les pays occidentaux ont massivement délocalisé vers la Chine les étapes les plus polluantes du traitement des terres rares, fermant leurs propres unités, comme la mine de Mountain Pass aux États-Unis (rouverte depuis).

Mais la Chine ne se contente pas de vendre. Elle exporte de moins en moins les métaux bruts, préférant monter en gamme et intégrer les chaînes de valeur des batteries, des aimants, des panneaux solaires.

Les tensions géopolitiques ravivent les dépendances

En 2010, Pékin aurait temporairement interrompu ses exportations vers le Japon à la suite d’un différend maritime. En 2019, en pleine guerre commerciale avec Washington, la Chine a menacé de couper l’approvisionnement américain. À chaque tension géopolitique, l’ombre des terres rares ressurgit.

La maîtrise de ces métaux devient un atout diplomatique autant qu’un moyen de pression. Face à cela, les États-Unis et l’Union européenne ont engagé une contre-offensive : diversification, réouverture de mines, création de filières de recyclage, partenariats stratégiques.

À Mountain Pass (Californie), les États-Unis ont relancé leur production. En Suède, un vaste gisement a été identifié en 2023 près de Kiruna. En France, le projet Caremag à Lacq, cofinancé avec le Japon, prévoit une unité de recyclage d’aimants permanents d’ici 2027. À La Rochelle, Solvay mettra en service en 2025 un site de recyclage du néodyme et du praséodyme.

Mais ces efforts restent embryonnaires face à la domination chinoise, notamment pour les terres rares lourdes, prisées par les industries de défense et d’optique de précision. Le recyclage, encore très peu développé (1 % mondialement), représente un levier prometteur mais techniquement complexe.

Des impacts environnementaux lourds et durables

Transition verte, certes. Mais à quel prix ? L’extraction des terres rares mobilise solvants, acides, chaleur, et d’énormes volumes d’eau. Dans de nombreuses régions chinoises, les déchets issus du traitement contiennent du thorium, parfois de l’uranium. À Baotou, un lac artificiel recueille les rejets d’une industrie toxique. À Dalahai, les taux de thorium dans le sol sont 36 fois supérieurs à la normale ; des études parlent de cancers, de bétail malade, de baisses de rendements agricoles. Le surnom « villages du cancer » n’est pas une image.

Ce paradoxe — des métaux essentiels à la transition écologique, produits dans des conditions destructrices — pèse lourd dans le bilan réel de la décarbonation mondiale.

Trois scénarios pour réduire la dépendance mondiale

Face à cette équation stratégique et environnementale, trois voies principales semblent se dessiner :

Scénario 1 : Souveraineté minérale par relocalisation.
L’Occident relance ses propres mines, ses usines de raffinage, ses laboratoires de séparation. C’est la voie choisie par l’Union européenne, les États-Unis, l’Australie et le Japon.

Scénario 2 : L’ère du recyclage.
L’économie circulaire permettrait de récupérer les terres rares déjà présentes dans nos déchets électroniques, nos vieux aimants, nos voitures. Mais les obstacles techniques sont encore immenses.

Scénario 3 : Substitution et innovation.
Des recherches explorent des matériaux alternatifs aux terres rares dans les aimants, les batteries ou l’optique. Si ces percées voient le jour, la dépendance pourrait être contournée.



Partagez votre avis