Quand Jack Dorsey et Elon Musk appellent à supprimer la propriété intellectuelle

Et si on supprimait purement et simplement les lois sur la propriété intellectuelle ? C’est ce que proposent, sans ciller, Elon Musk et Jack Dorsey, le fondateur de Twitter.

Jack Dorsey, fondateur de Twitter (désormais X), a jeté le pavé dans la mare avec un tweet lapidaire : “delete all IP law”. Elon Musk, jamais avare de positions tranchées, a approuvé d’un sobre “I agree”. Deux mots, une vision. Celle d’un monde sans brevets ni droits d’auteur, où l’innovation serait libre, fluide, affranchie de toute entrave juridique.

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Ce n’est pas la première fois que les milieux techno-libertaires s’en prennent aux digues légales. Musk l’a déjà dit : “Les brevets sont pour les faibles”. Dorsey enfonce le clou : “Le système actuel prend trop aux créateurs”. Mais ces déclarations prennent aujourd’hui une tout autre résonance. Car elles s’inscrivent dans un moment charnière : celui de l’explosion de l’intelligence artificielle, de la standardisation des protocoles blockchain, du retour en grâce de l’open source – bref, d’un bouleversement des règles du jeu.

Un frein à l’innovation ?

Derrière cette remise en cause radicale, un vieux soupçon : la propriété intellectuelle ralentirait la diffusion des idées, enfermerait les savoirs derrière des murs juridiques, et renforcerait les monopoles. Dans cette perspective, les lois censées protéger l’invention deviennent des armes de dissuasion massive contre la concurrence. La mécanique est connue : les grands groupes accumulent des portefeuilles de brevets, non pour innover, mais pour verrouiller des marchés. Un phénomène que les défenseurs de l’open source dénoncent depuis longtemps.

Les risques d’une suppression totale

Mais l’abolition pure et simple de la propriété intellectuelle ? C’est une autre affaire. Car ces dispositifs ne protègent pas que les empires technologiques. Ils garantissent aussi aux artistes, écrivains, développeurs et inventeurs une reconnaissance – et parfois, leur survie économique. Supprimer ces protections reviendrait à jeter les créateurs en pâture, dans un océan numérique où la copie est la norme, et la rémunération, une chimère.

Les juristes, eux, alertent sur un risque majeur : une insécurité juridique massive. Sans cadre clair, impossible d’organiser des transferts de technologie, de sécuriser des investissements, ou même de défendre des droits dans les échanges internationaux. L’industrie pharmaceutique, par exemple, repose en grande partie sur la valorisation des brevets. Et que dire de la recherche, qui dépend largement de la propriété intellectuelle pour justifier les financements publics comme privés ?

L’IA au centre du conflit

Ce débat ne surgit pas par hasard. Il est directement alimenté par les conflits juridiques explosifs autour de l’intelligence artificielle. Des entreprises comme OpenAI sont accusées d’avoir utilisé sans autorisation des œuvres protégées pour entraîner leurs modèles. Des écrivains, des éditeurs, des syndicats professionnels crient à la spoliation. À raison.

Dans ce contexte, les appels de Musk et Dorsey peuvent apparaître comme une manière de délégitimer par avance les régulations à venir.

Rénover les cadres juridiques ?

Faut-il pour autant rejeter en bloc cette critique ? Non. Car elle pointe une vraie tension : les cadres juridiques actuels, conçus à l’ère industrielle, peinent à suivre le rythme des mutations numériques. Ils protègent mal les créateurs individuels, tout en offrant des armes redoutables aux mastodontes.

Il existe des alternatives. Licences ouvertes, modèles hybrides, régimes différenciés selon les secteurs… Ces pistes ne détruisent pas la propriété intellectuelle, mais cherchent à l’adapter. Elles permettent de garantir une rémunération tout en favorisant l’accès et la collaboration. C’est peut-être là que se joue l’avenir.

Musk et Dorsey n’ont pas forcément raison. Mais ils mettent le doigt sur un point aveugle. Le droit est lent, l’innovation est rapide. Et si l’on ne veut pas que le fossé se creuse davantage, il faudra bien réinventer les règles du jeu.


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