Trump fait exploser les prix des montres suisses

Montres suisses surtaxées à 32 % : Washington frappe fort. Une décision brutale qui fragilise toute la stratégie économique helvétique.

À Genève, les sourires étaient crispés au moment de la clôture de Watches and Wonders, le rendez-vous annuel de la haute horlogerie. L’annonce est tombée depuis Washington : 32 % de droits de douane sur une série de produits suisses, notamment les montres et les instruments de précision. Un niveau inédit, bien plus élevé que pour les exportations européennes ou britanniques. Pour la Suisse, c’est un choc.

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Le pays croyait à sa relation spéciale avec les États-Unis. Il découvre qu’elle ne pèse plus grand-chose face à la nouvelle géoéconomie américaine.

Une alliance économique en trompe-l’œil

La Suisse est un partenaire économique de premier plan pour les États-Unis. Sixième investisseur étranger, avec des entreprises qui emploient près d’un demi-million de personnes sur le sol américain. En 2024, près de 19 % des exportations suisses ont pris la direction des États-Unis — un chiffre en progression constante.

En 2021, Berne choisissait même les F-35 américains pour renouveler sa flotte de chasse. Un geste plus stratégique que militaire, censé consolider les liens transatlantiques.

Mais ces signes de confiance n’ont pas pesé lourd dans la décision du Département du commerce américain. Le 2 avril, la hausse tarifaire est annoncée sans consultation, sans avertissement. Une mesure unilatérale et assumée.

Officiellement, Trump veut corriger un déficit commercial structurel et répondre à des « obstacles invisibles » auxquels seraient confrontées ses entreprises. Peu importe que la Suisse ait supprimé, en 2024, ses droits de douane sur les produits industriels. La logique multilatérale n’a plus cours. Le rapport de force s’impose.

Des secteurs vulnérables, une dépendance mal mesurée

L’horlogerie suisse exporte pour 4,4 milliards de francs vers les États-Unis. Les instruments de précision, pour 3,8 milliards. Ces deux secteurs sont à la fois symboliques et exposés. Ils incarnent un savoir-faire reconnu, une capacité d’innovation technologique, mais aussi une forte dépendance à un marché unique.

Pour les grandes marques présentes à Genève, les premiers signes sont déjà visibles : des commandes mises en pause, des négociations suspendues. Les PME, souvent sans filiale outre-Atlantique, subissent de plein fouet la nouvelle donne. Certaines ont commencé à réduire les horaires de travail, anticipant une baisse d’activité.

La pharmacie, elle, reste pour l’instant à l’abri. Avec plus de 31 milliards de francs d’exportations annuelles vers les États-Unis, le secteur est stratégique. Mais, aucune garantie ne tient très longtemps.

Une diplomatie prudente

La réaction de la Confédération est mesurée. Pas de dénonciation publique, pas de contre-mesure immédiate. La présidente Karin Keller-Sutter privilégie la voie diplomatique, espérant une désescalade par le dialogue. Une visite est prévue à Washington fin avril. Mais les premiers signaux ne sont guère encourageants : la délégation suisse, lors d’un contact préliminaire, a été reçue à un niveau administratif secondaire.

En parallèle, Berne tente de coordonner sa position avec Bruxelles. Mais l’Union européenne, elle aussi ciblée par les politiques commerciales américaines, avance avec prudence. La solidarité existe, mais elle ne se traduit pas par une stratégie commune.

La Suisse, qui a longtemps misé sur la neutralité économique et l’intégration discrète, se retrouve en position d’attente. Et de faiblesse.

Les lignes rouges se déplacent

Pour sortir de l’impasse, plusieurs options sont évoquées à Berne : faciliter l’accès au marché suisse pour certains produits agricoles américains, assouplir la réglementation sur les biotechnologies, revoir la « loi Netflix » qui impose des quotas de production culturelle locale.

L’objectif est clair : envoyer des signaux de bonne volonté sans sacrifier les secteurs clés. Mais ces pistes divisent. La droite libérale veut avancer vite pour protéger les parts de marché. La gauche et les écologistes dénoncent des reculs inacceptables, des compromis faits sous pression étrangère.

Le débat dépasse la seule relation avec les États-Unis. Il interroge la capacité du modèle suisse à résister à un monde qui n’a plus grand-chose de coopératif.

Une Suisse bousculée

Le cas suisse s’inscrit dans un mouvement plus large. Depuis la pandémie et l’invasion de l’Ukraine, les États-Unis ont accéléré leur stratégie de repli industriel et de protection technologique. Ce tournant ne vise pas uniquement la Chine. Il redéfinit l’ensemble des relations commerciales.

L’OMC est affaiblie. Les accords bilatéraux sont revisités. La logique des blocs s’installe. Et le commerce devient un instrument explicite de politique étrangère.

Dans ce contexte, la Suisse ne peut plus se contenter de son statut d’exception. Elle doit repenser sa place. Et son autonomie. Le petit pays agile, à la fois riche, neutre et ouvert, voit ses marges de manœuvre se réduire. Reste à savoir s’il saura redéfinir son positionnement, ou s’il subira les choix des autres.


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