Le 28 mars, Elon Musk a lancé une nouvelle salve dans la guerre de l’intelligence artificielle en fusionnant xAI, sa jeune start-up dédiée à l’IA, avec X, le réseau social qu’il a racheté en 2022 sous le nom de Twitter. L’opération, présentée comme un simple échange d’actions sans mouvement de liquidités, fait naître une nouvelle entité baptisée xAI Holdings. Elle serait valorisée 113 milliards de dollars selon son initiateur : 80 milliards pour xAI, 33 milliards pour X, dette comprise – un passif de 12 milliards hérité du rachat de Twitter.
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Mais au-delà des chiffres – toujours spectaculaires quand ils concernent Musk –, c’est une offensive stratégique à grande échelle. En agrégeant l’outil (X), le moteur (xAI), les données (les utilisateurs) et les canaux de diffusion (le réseau social), Elon Musk entend accélérer le développement de Grok, son modèle maison d’intelligence artificielle générative. Une intégration verticale façon SpaceX, où tout – des fusées aux satellites – est sous contrôle.
Musk contre OpenAI : une rivalité idéologique et technologique
Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique plus ancienne, et désormais ouvertement conflictuelle. Elon Musk n’a pas digéré la trajectoire prise par OpenAI, qu’il avait cofondée en 2015 sur un idéal de recherche ouverte, non lucrative, avant de claquer la porte trois ans plus tard. Depuis, l’entreprise est devenue un mastodonte commercial, adossé à Microsoft. Pour Musk, c’est une trahison pure et simple des principes initiaux.
Il ne s’est pas contenté de critiquer. En début d’année, il a sorti l’arme juridique : plainte contre OpenAI et son PDG Sam Altman pour rupture de contrat et reniement des engagements d’origine. Il leur reproche d’avoir fait passer l’intérêt de Microsoft avant celui du public. C’est dans ce contexte que le lancement de Grok prend une coloration particulière : celle d’une contre-offensive, presque d’un schisme. Deux IA, deux modèles économiques, deux visions philosophiques.
Grok, le modèle d’intelligence artificielle intégré à X
Encore peu connu du grand public, Grok progresse à grande vitesse. Sa version 1.5, récemment déployée, propose déjà des fonctions de raisonnement avancé et une meilleure interprétation contextuelle. Selon Musk, il s’agit d’un modèle « multimodal » : il sait manier aussi bien le texte que le code ou des données complexes. Et surtout, il a un avantage redoutable : l’accès direct et en temps réel aux données de X.
Là où OpenAI bâtit ses modèles sur des corpus publics ou des partenariats, xAI peut s’appuyer sur le flux continu d’informations générées par les utilisateurs du réseau social. Une mine d’or algorithmique, exploitée sans passer par la case des intermédiaires. Cette proximité entre l’outil de collecte et l’outil d’entraînement est à la fois l’atout maître de Musk – et l’objet de vives inquiétudes.
Une stratégie industrielle et financière à haut risque
L’architecture de la fusion rappelle les montages précédents de l’écosystème Musk. En 2016, Tesla absorbait SolarCity dans une opération qui avait fait grincer des dents. Même scénario ici : les frontières entre les entités sont poreuses. X possédait déjà 25 % de xAI, et les deux sociétés ont fait appel aux mêmes cabinets pour ficeler l’opération. Par ailleurs, les infrastructures techniques de xAI ont été en partie développées par Tesla.
Certains analystes y voient un double objectif : donner une stature industrielle à xAI, tout en redonnant un peu d’oxygène à X, dont la valeur a fondu de moitié depuis son rachat. L’activité publicitaire reste poussive, et les recettes d’abonnement ne compensent pas la fuite des annonceurs. Avec cette fusion, Musk joue aussi un coup de poker financier : réactiver l’intérêt des investisseurs.
La stratégie radicale d’Elon Musk
OpenAI avec Microsoft, Google avec Gemini, Meta avec LLaMA : les grands acteurs de la tech ont tous lancé leur offensive sur le terrain de l’IA générative. Musk, lui, choisit une stratégie radicalement différente : tout internaliser. De la collecte de données à l’interface utilisateur, en passant par le modèle lui-même, il verrouille l’ensemble de la chaîne. Objectif : faire de X une plateforme native de l’intelligence artificielle, capable d’adapter ses réponses en temps réel au comportement humain. Une IA au plus près de la vie numérique.
Mais cette approche soulève aussi de sérieuses questions. En Europe, le RGPD encadre strictement l’utilisation des données personnelles à des fins d’entraînement algorithmique. X a dû s’y plier en offrant aux utilisateurs européens la possibilité de refuser cette exploitation. Mais le flou règne sur l’effectivité du consentement, et sur les garde-fous techniques mis en place.
Plus largement, la concentration croissante des données, des moyens technologiques et du pouvoir décisionnel entre les mains d’un seul homme inquiète. Avec Tesla, SpaceX, Neuralink, X et désormais xAI Holdings, Elon Musk devient un acteur tentaculaire de l’innovation mondiale. Et ce, dans un secteur – l’intelligence artificielle – considéré comme stratégique par les États.