Comment Birkenstock est devenue la sandale préférée des stars

Birkenstock est passée du ringard au chic : retour sur l’incroyable histoire d’une sandale orthopédique devenue un phénomène fashion et économique, portée par Hollywood, de Steve Jobs à Margot Robbie.

Longtemps, Birkenstock a été l’apanage des profs de philo en année sabbatique, des ostéopathes végans et des touristes allemands flânant en short cargo sur les plages bretonnes. Ringarde ? Plus que ça : la sandale en liège était le vestige post-hippie d’une époque où l’on croyait encore que la santé du pied pouvait racheter l’âme.

Et puis, sans crier gare, Birkenstock est devenue cool. Très cool. Genre 30 millions de paires vendues par an. La sandale orthopédique s’est muée en fétiche mode. Une ascension absurde, presque métaphysique, qui mérite qu’on s’y attarde : comment la semelle de liège est-elle passée de l’hôpital à la Fashion Week ?

Genèse d’une chaussure à contre-pied

Tout commence en 1776, avec Johann Adam Birkenstock, cordonnier illuminé, qui mate l’empreinte d’un pied dans le sable et se dit : Tiens, si je faisais une chaussure qui respecte ça ? C’est son fils Konrad qui, en 1897, accouche de la forme anatomique révolutionnaire : talon creusé, semelle qui épouse le pied comme une amante timide, gauche et droite différenciées.

En 1902, la première semelle orthopédique non métallique voit le jour. En 1913, on y ajoute du liège, du latex — un cocktail d’ingéniosité podologique. Dès lors, les Birkenstock deviennent le choix des infirmières allemandes, des chirurgiens plantés 14 heures debout, des gens qui comprennent qu’avant de soigner l’esprit, il faut sauver les arches plantaires. Le monde médical dit oui, sans conditions.

Du pied sain à la contre-culture : les années débraillées

La rupture esthétique a lieu dans les années 60. Margot Fraser, Américaine en quête de confort et de sens, ramène la sandale en Californie. Miracle : les hippies adorent. C’est moche ? Justement. La Birkenstock devient un statement anti-capitaliste, un doigt de pied levé face aux diktats esthétiques. Dans les années 70, elle est la chaussure des bohèmes, des post-Beatniks, de ceux qui préfèrent marcher lentement, mais en conscience. Et lentement, elle avance.

Années 90 : coup de théâtre. Kate Moss — divine icône de l’androgynie floue — pose pour The Face avec des Birkenstock aux pieds. Le choc. Une esthétique de la négligence calculée naît sous nos yeux. En 1997, des créateurs comme Paco Rabanne ou Narciso Rodriguez les font défiler. L’époque est au normcore avant la lettre. Les femmes s’autorisent le confort sans renoncer au désir. Le style devient nonchalant, sans s’excuser. La sandale « moche » devient belle à force d’être libre.

L’appel des stars : la semelle devient star

Au fil des années 2000, Birkenstock s’invite dans le dressing des puissants. Steve Jobs les porte comme on arbore une thèse. Leonardo DiCaprio, Julia Roberts, Frances McDormand — tous en Birkenstock. La consécration survient en 2023, dans Barbie : Margot Robbie, en icône rose bonbon, abandonne ses talons pour une paire de Birkenstock roses. Le pied du style est posé, tranquille. À la 91e cérémonie des Oscars, Frances McDormand ose la collab’ Birkenstock x Valentino — les fashionistas hésitent entre l’admiration et la panique existentielle.

2012 : un homme entre dans la danse. Olivier Reichert. Il remet de l’ordre, restructure, affine, muscle la marque. Birkenstock devient sexy sans trahir sa mission : sauver les pieds du monde entier. Les collabs pleuvent comme des confettis de liège : Rick Owens, Jil Sander, Proenza Schouler. Phoebe Philo redessine la sandale pour Céline ; Alexander Wang suit. Même Manolo Blahnik, prince du talon, s’agenouille devant le lit de pied.

En 2021, le fonds L Catterton (bras armé de LVMH) injecte 4 milliards d’euros. En octobre 2023, Birkenstock entre en Bourse à New York. Et demain ? La Chine, l’Inde. Les pieds du monde n’ont plus de frontières.

Une icône paradoxale : entre moquerie et adoration

Tout a été dit sur la Birkenstock. Qu’elle est moche. Qu’elle est géniale. Qu’elle sent l’antigermanisme larvé. Elle a été moquée, adulée, sur-analysée. Et c’est précisément ce qui la rend iconique. Elle est clivante, et donc inoubliable. À travers les décennies, elle a incarné le soin, la rébellion douce, la décroissance chic. Elle est ce qu’on appelle une dissonance réussie : une chaussure qui n’a pas changé de forme, mais a changé le regard qu’on lui porte.

Birkenstock, c’est l’alchimie improbable entre orthopédie et obsession fashion. Une chaussure née du sable, passée par les hôpitaux, les communautés hippies, les catwalks et les Oscars. Une success story allemande à semelle souple, traversée d’ironie, d’intelligence stratégique et de timing culturel. En refusant d’être sexy, elle l’est devenue. En gardant son intégrité, elle a conquis le monde. On a longtemps marché dessus. Aujourd’hui, on marche avec.


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