L’histoire est connue : chaque révolution technologique a toujours été détournée par la criminalité. Mais avec l’intelligence artificielle, le changement de paradigme est brutal. Europol, dans son rapport EU-SOCTA 2025, tire la sonnette d’alarme : l’IA n’est plus un simple outil, elle est devenue un catalyseur du crime organisé, lui offrant une vitesse, une échelle et une sophistication inédites.
« L’intelligence artificielle et d’autres nouvelles technologies accélèrent la criminalité organisée en amplifiant sa vitesse, son ampleur et sa sophistication », avertit Europol.
Le constat est glaçant : alors que les États peinent à réguler l’IA, les criminels, eux, l’adoptent à marche forcée.
A LIRE AUSSI
Mots de passe : la menace cyber majeure en 2025
L’intelligence artificielle, nouvelle arme du crime
Les organisations criminelles ont compris que l’IA pouvait leur offrir des capacités redoutables. Et elles ne s’en privent pas.
1. Cybercriminalité : la machine à escroqueries
L’IA permet d’automatiser les cyberattaques avec une efficacité redoutable. Les campagnes de phishing se généralisent à grande échelle, avec des e-mails frauduleux rédigés dans un français impeccable, sans faute de grammaire ni d’orthographe. Fini les maladresses qui mettaient la puce à l’oreille des victimes.
Autre menace : les deepfakes et le clonage vocal. Un dirigeant d’entreprise dont la voix est imité à la perfection, un appel à un comptable, un faux ordre de virement… et des millions d’euros qui s’évaporent. Certains employés, pensant répondre à leur patron, ont déjà transféré des sommes colossales.
Et ce n’est que la partie visible. L’IA sait aussi générer des faux sites web, des vidéos truquées, des documents falsifiés. Elle alimente un écosystème de fraude en pleine expansion.
2. Blanchiment d’argent : l’IA à la manœuvre
L’intelligence artificielle ne se contente pas de faciliter les escroqueries, elle complexifie aussi le recyclage de l’argent sale. Dans l’univers opaque des cryptomonnaies et de la finance décentralisée (DeFi), elle est utilisée pour anonymiser des transactions et créer des schémas financiers d’une complexité telle que même les experts peinent à les décrypter.
Exemple frappant : ChipMixer. Cette plateforme, qui blanchissait des bitcoins en les mélangeant de manière algorithmique, a permis de dissimuler 2,73 milliards d’euros issus d’activités criminelles avant d’être démantelée.
Les criminels exploitent aussi des robots de trading automatisés qui fractionnent les fonds en une multitude de transactions sur des milliers de comptes. Résultat : les flux financiers deviennent indétectables, rendant quasi impossible la traque de l’argent sale.
3. Désinformation et espionnage : l’IA au service de la guerre de l’ombre
L’IA ne se limite pas aux délits financiers. Elle devient une arme redoutable pour manipuler l’opinion, voler des secrets industriels ou paralyser des infrastructures stratégiques.
Des fake news générées automatiquement inondent les réseaux sociaux. Les cybercriminels collectent des données sensibles en infiltrant les systèmes informatiques des entreprises. Pire encore, des attaques massives contre les infrastructures critiques (énergie, télécommunications, transports) sont en préparation.
L’une des tendances les plus inquiétantes est la stratégie du « store now, decrypt later ». L’idée ? Stocker aujourd’hui des données chiffrées en attendant que l’informatique quantique brise demain les protections cryptographiques actuelles.
Vers une criminalité autonome ?
Le cauchemar ne s’arrête pas là. Europol met en garde contre l’émergence de réseaux criminels autonomes, pilotés en grande partie par des intelligences artificielles.
Ces systèmes pourraient :
- Planifier et exécuter des cyberattaques de manière autonome.
- Lancer des campagnes de fraude automatisées.
- Analyser des bases de données massives pour identifier des cibles.
On assiste à la montée en puissance d’un Crime as a Service (CaaS), où des IA sont louées sur le dark web pour mener des attaques sur commande. Une criminalité à la demande, sans intervention humaine.
Face à cette menace, la police et la justice tentent de s’adapter, mais la bataille est rude. Europol intègre l’IA dans ses outils d’enquête, mais plusieurs obstacles subsistent :
- La régulation : comment encadrer l’IA sans freiner l’innovation légitime ?
- La coopération internationale : seule une réponse coordonnée peut espérer contrer ces nouvelles menaces.
- L’évolution des outils de détection : identifier des flux financiers suspects ou des deepfakes demande des moyens technologiques de pointe.
« L’anticipation est la clé », insiste Europol. « Si nous ne nous préparons pas maintenant, nous risquons d’être submergés par des menaces hors de contrôle. »
Une course contre la montre
L’IA est un levier puissant, tant pour les forces de l’ordre que pour les criminels. Mais aujourd’hui, l’avantage semble pencher du mauvais côté. L’innovation avance plus vite que la régulation. Les enquêteurs ont toujours un temps de retard sur les réseaux criminels.
L’heure n’est plus à l’attente, mais à l’action. Europol appelle à une mobilisation collective : États, entreprises technologiques et experts en cybersécurité doivent unir leurs forces. Car si rien n’est fait, l’intelligence artificielle pourrait bien devenir l’arme ultime du crime organisé au XXIe siècle.