Il a l’allure d’un patriarche, le goût du défi et l’instinct du négociant. À 77 ans, Louis Le Duff ne court plus les marchés de son Finistère natal, mais il veille sur un empire qui pèse plusieurs milliards d’euros. Son groupe (3,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2025) alimente chaque jour un million de clients, de Paris à Pékin, de Las Vegas à Riyad, dans ses enseignes Brioche Dorée, Bridor ou Del Arte. En un demi-siècle, il a bâti un géant mondial de la boulangerie industrielle et de la restauration rapide. Sans bruit. Sans levées de fonds. Sans coter sa société. Une exception dans le paysage économique français.
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Le Duff ou le patriotisme industriel à la française
Un entrepreneur loin des projecteurs
Le Breton n’aime ni les plateaux télé ni les dîners mondains. Il cultive la discrétion comme d’autres l’ambition. Sa fortune, estimée à 2,8 milliards d’euros, ne l’a pas changé. Il enfourche encore son vélo chaque dimanche pour une sortie de 100 kilomètres. Même un passage à la Maison Blanche en novembre dernier n’a fait l’objet que d’un entrefilet dans la presse régionale. Officiellement, il y représentait la gastronomie française lors d’un déjeuner pour les chefs cuisiniers des grands de ce monde. Officieusement, il y plaidait peut-être une cause plus stratégique : l’implantation d’une nouvelle usine Bridor aux États-Unis.
Le résultat ne s’est pas fait attendre. Le 17 mai 2024, Le Duff annonçait un investissement de 200 millions d’euros dans l’Utah. Une usine flambant neuve, 300 emplois créés, un pied de plus sur le marché nord-américain. Une victoire… au goût amer. Un an plus tôt, c’est en Bretagne que le patron voulait investir : 250 millions d’euros pour une usine de viennoiseries surgelées à Liffré. Mais après six ans de batailles administratives et de recours, il a jeté l’éponge. « Nos concurrents étrangers obtiennent les mêmes autorisations en un ou deux ans », lâche-t-il, amer. Résultat : la production ira ailleurs, au Portugal et aux États-Unis.
L’instinct du commerce
Le parcours de Louis Le Duff tient autant du marathon que du sprint. À 15 ans, il arpente les marchés avec ses parents maraîchers. À 25, il étudie le commerce au Canada, où il travaille dans un restaurant et ouvre même une crêperie. Il revend l’affaire pour financer un road trip aux États-Unis. De retour en France, il devient professeur à l’école de commerce de Rouen. Mais l’entrepreneuriat le démange. En 1976, il vend sa voiture, réunit 1 500 euros et ouvre une boulangerie à Brest. Brioche Dorée est née.
L’essor est fulgurant. Dès 1989, il rachète Fournil de Pierre. En 1995, il met la main sur Pizza Del Arte, alors propriété du groupe Accor. En 2002, il s’offre la chaîne américaine La Madeleine. D’autres suivront : Kamps en Allemagne, Frial en Normandie, Pandriks aux Pays-Bas… Mais le vrai tournant, c’est Bridor, lancé en 1988. Objectif : maîtriser la fabrication des pains et viennoiseries pour ses restaurants. Aujourd’hui, selon une information confirmée par la direction du Groupe Le Duff à L’Essentiel de l’Éco, Bridor génère deux milliards d’euros de chiffre d’affaires et possède quinze usines dans le monde. Le groupe breton travaille avec des clients prestigieux, de l’hôtellerie de luxe aux compagnies aériennes.
L’Amérique, deuxième maison
Là où d’autres hésitent, Le Duff fonce. Il n’a jamais eu peur de l’international. Dès les années 80, il mise sur l’Amérique du Nord. Il y construit des usines, rachète des enseignes et implante Brioche Dorée jusqu’en Corée du Sud et au Japon. Un demi-siècle plus tard, l’empire s’étend sur cinq continents. Une expansion fulgurante, menée sans jamais céder aux sirènes des marchés financiers.
Quel est le secret de cette longévité ? Son instinct de commerçant, aiguisé sur les marchés finistériens ? Son flair pour les acquisitions ? Sa capacité à garder le contrôle de son groupe ? Peut-être tout cela à la fois. Ou peut-être, plus simplement, une évidence : Le Duff est resté ce gamin de 15 ans, avide d’indépendance et de liberté, qui négociait déjà avec les meilleurs. Et ça, ça ne s’oublie pas.