Pendant des décennies, la présence française en Afrique a reposé sur une évidence : celle d’un pouvoir installé, structuré, durable. Héritage du colonialisme, prolongé par la Françafrique, ce système a survécu aux indépendances en ajustant ses méthodes, de De Gaulle à Macron. Il a prospéré sous des formes nouvelles, au nom de la coopération, de la sécurité, du développement.
Dakar, Bamako, Ouagadougou, Niamey : dans ces capitales, des foules réclament son démantèlement. À Alger, la mémoire coloniale demeure un sujet de tension majeur, où la reconnaissance des crimes d’hier se heurte à la frilosité du pouvoir français. Loin d’être des épisodes isolés, ces contestations traduisent un rejet profond, accumulé au fil des décennies. La France n’est plus perçue comme un partenaire, mais comme une puissance intrusive, un acteur dont l’influence est devenue un problème.
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Dépendances économiques : un contrôle qui perdure
L’indépendance des années 1960 n’a pas signé la rupture avec la puissance coloniale. Elle a ouvert une nouvelle phase où Paris a maintenu son contrôle par des leviers moins visibles, mais tout aussi efficaces.
Le réseau de la Françafrique repose sur des alliances politiques, des accords économiques et une dépendance monétaire qui limitent l’autonomie des États africains. Des entreprises françaises – TotalEnergies, Bolloré, Bouygues – ont prospéré grâce à des contrats privilégiés dans les secteurs clés : énergie, infrastructures, télécommunications. Entre 2000 et 2020, le chiffre d’affaires des entreprises françaises en Afrique subsaharienne a ainsi progressé de 150 %. Mais cette présence économique, loin d’être perçue comme un partenariat, est dénoncée comme une mainmise persistante.
Le Franc CFA contesté
Quatorze pays africains continuent d’utiliser le Franc CFA, une monnaie arrimée à l’euro et partiellement contrôlée par la Banque de France. Cette situation est dénoncée comme une entrave à la souveraineté économique des États concernés.
L’économiste Kako Nubukpo, fervent critique de cette monnaie, explique : « Tant que nous utiliserons une monnaie conçue pour servir des intérêts extérieurs, nous resterons enfermés dans un modèle de dépendance ». La réforme du Franc CFA en Afrique de l’Ouest, censée aboutir à la création d’une monnaie commune, l’Eco, est au point mort. Officiellement, ce blocage est dû aux divergences entre les États de la CEDEAO. Officieusement, Paris continue d’exercer des pressions pour maintenir son influence monétaire.
De la lutte antiterroriste au rejet politique
Barkhane, une opération devenue un fardeau
L’armée française a longtemps justifié sa présence en Afrique par des impératifs sécuritaires. L’opération Barkhane, menée au Sahel depuis 2014, visait à contenir la menace djihadiste. Mais cette intervention s’est transformée en symbole d’ingérence, perçue par une partie croissante des populations comme un prolongement du néocolonialisme.
Le constat est sans appel : malgré un budget annuel dépassant le milliard d’euros et un effectif atteignant 5 100 soldats au plus fort de la mission, la situation sécuritaire s’est détériorée. Entre 2013 et 2021, le nombre d’attaques djihadistes dans la région a été multiplié par cinq, passant de 180 à près de 900 par an.
Le rejet des troupes françaises
Depuis 2022, plusieurs pays ont exigé le départ des forces françaises :
- Mali (2022) : expulsion des troupes françaises, remplacement par des mercenaires russes du groupe Wagner.
- Burkina Faso (2023) : dénonciation des accords de défense, départ des militaires français.
- Niger (2023) : rupture brutale des accords militaires après le coup d’État de juillet.
- Tchad (2024) : réduction des effectifs français à la demande de N’Djamena.
À chaque départ, un constat s’impose : la France n’est plus considérée comme un acteur stabilisateur, mais comme une force étrangère indésirable.
Mémoire coloniale : un passé qui ne passe pas
L’Algérie, une plaie ouverte
La relation entre la France et l’Algérie demeure marquée par le poids du passé colonial. Plus de soixante ans après l’indépendance, la question mémorielle reste un point de crispation majeur. Alger réclame la reconnaissance officielle des crimes commis pendant la colonisation. Paris, de son côté, oscille entre gestes symboliques et refus d’une repentance complète.
En 2021, Emmanuel Macron a admis la responsabilité de la France dans l’assassinat de l’indépendantiste Ali Boumendjel, mais a exclu toute demande de pardon global. Cette ambiguïté alimente les tensions et renforce l’image d’un dialogue bloqué.
L’hostilité envers la France ne se limite pas au Maghreb. En Afrique de l’Ouest et au Sahel, les manifestations antifrançaises traduisent un rejet structurel. En parallèle, la montée des réseaux sociaux et des médias russes, comme RT et Sputnik, contribue à amplifier la critique du néocolonialisme occidental.
Un paysage géopolitique en recomposition
Le retrait français ne laisse pas un vide. Il ouvre la porte à d’autres acteurs :
- La Russie, via le groupe Wagner et des accords militaires avec plusieurs États.
- La Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique, qui investit massivement sans conditionnalités politiques.
- La Turquie et les pays du Golfe, qui renforcent leur présence dans les secteurs du commerce et de la défense.
En 2000, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine s’élevaient à 10 milliards de dollars. En 2022, ils dépassaient 250 milliards. Un basculement qui témoigne du déplacement du centre de gravité économique du continent.
Quelle place pour la France en Afrique ?
L’érosion de l’influence française n’est pas une crise passagère, mais un changement de cycle. L’ère où Paris imposait ses choix est révolue. Face à cette dynamique, la France a deux options : persister dans un modèle dépassé ou redéfinir son rôle en acceptant une relation d’égal à égal.
La question est donc posée : la France peut-elle encore exister en Afrique sans la dominer ? Ou doit-elle se préparer à devenir un acteur secondaire sur un continent qui, désormais, trace sa propre voie ?
Sources
- Les Échos, « Les entreprises françaises en Afrique : une influence en recul », 15 mai 2021.
- Kako Nubukpo, « L’urgence africaine : changeons le modèle de croissance », Odile Jacob, 2019.
- Le Monde, « Barkhane : le coût de l’intervention militaire française au Sahel », 14 novembre 2021.
- Institute for Economics & Peace, « Global Terrorism Index 2021 ».
- Le Figaro, « Macron reconnaît la responsabilité de la France dans l’assassinat d’Ali Boumendjel », 2 mars 2021.
- France 24, « Comment la Russie alimente l’hostilité contre la France en Afrique », 10 janvier 2023.
- China-Africa Research Initiative (CARI), « China-Africa Trade Data Overview 2022 ».