C’est le grand test pour les syndicats et le patronat. Plus d’État pour ramasser les pots cassés ? Voilà qui change tout. Tant que la puissance publique jouait les assureurs en dernier ressort, il suffisait de camper sur ses positions, en attendant que la manne publique vienne boucher les trous. Mais l’ère du filet de sécurité automatique s’achève. L’État n’a plus les moyens d’éponger les déficits. Résultat : aux partenaires sociaux de redécouvrir un mot oublié – responsabilité.
Le modèle français à bout de souffle
Le paritarisme français, construit au fil des décennies par une alternance subtile de compromis entre l’État et les partenaires sociaux, est aujourd’hui à un tournant. Ailleurs en Europe, les relations sociales s’appuient sur une reconnaissance mutuelle d’intérêts communs. En France, c’est une autre histoire : chaque acteur campe sur son territoire, avec l’État en arbitre ultime et en payeur de dernier recours.
Regardons l’Allemagne. En 2005, les réformes Hartz ont marqué un tournant. Sous le gouvernement Schröder, les règles ont changé : restructuration de l’agence fédérale pour l’emploi, sanctions plus strictes pour les chômeurs, et surtout, un message clair – « L’État allemand ne comblera plus les trous ». Le résultat ? Fin des postures idéologiques, place aux décisions concrètes : retraite à 65 ans, ticket modérateur à 25 €.
Sophie Binet et la CGT face à leurs responsabilités
Madame Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, devra composer avec cette nouvelle réalité. Une révolution pour certains, un retour au bon sens pour d’autres. Dépolitiser les négociations sociales, c’est alléger la facture de l’État et replacer les partenaires sociaux au centre du jeu.
Xavier Fontanet, ancien patron d’Essilor, le martèle : ce sursaut de responsabilité a redonné au paritarisme allemand une efficacité qu’il avait perdue. « Si l’État bouche les trous, le ménage à trois explose. Ça ne marche pas. »
François Bayrou au pied du mur
C’est là que François Bayrou et son gouvernement entrent en scène. Tant que l’État reste dans l’équation, le paritarisme est une comédie bien rodée : chacun joue son rôle, et les grèves spectaculaires tombent à point nommé, juste quand les députés débattent.
L’État français fixe le salaire minimum, encadre les droits sociaux et impose des réglementations clés. Récemment, il a tenté de décentraliser la négociation collective au niveau des entreprises, tout en conservant la main sur certains sujets stratégiques. Une façon de responsabiliser les acteurs locaux ? Peut-être. Mais encore faut-il que ces derniers jouent le jeu.
Un modèle à réinventer
La réforme du paritarisme ne se limite pas aux grands principes. Elle a des implications économiques lourdes. L’assurance chômage en est l’exemple parfait : suppression des cotisations salariales compensée par une hausse de la CSG, refonte du financement… À chaque réforme, une bataille.
Mais au-delà des chiffres, c’est une refonte structurelle qui s’impose. Quand l’État a repris en main la formation professionnelle en 2018, les partenaires sociaux ont été marginalisés. Un précédent. Le message est clair : s’ils ne prennent pas leurs responsabilités, l’État le fera à leur place.
L’avenir du paritarisme ? Il oscille entre marginalisation progressive et redéfinition de son rôle. Ce que le gouvernement fera des accords sur les retraites complémentaires et l’assurance chômage sera déterminant.
Le moment de vérité pour les partenaires sociaux
Tout n’est pas figé. Certaines entreprises innovent. L’accord signé chez Orange en est un exemple : nouvelles mesures pour accompagner l’évolution des métiers, programme de reconversion interne « Orange Perspectives »… Preuve que le paritarisme peut encore être un levier d’innovation sociale, à condition de sortir de l’immobilisme.
Alors, Éric Lombard et Amélie de Montchalin sortiront-ils du conclave sur les retraites ? L’État peut-il enfin lâcher prise sans risquer l’explosion sociale ? L’heure des choix approche. Pour les partenaires sociaux, le moment est venu d’assumer pleinement leur rôle. Faute de quoi, l’histoire le fera à leur place.