Les enseignants français sont-ils devenus accros à Chat GPT ?

Corrections automatisées, devoirs générés, cours standardisés : de plus en plus d’enseignants admettent s’appuyer sur l’IA générative au quotidien. Gain de temps ou dépendance inquiétante ?

L’école est-elle en passe de devenir un terrain d’expérimentation pour les algorithmes ? Depuis l’essor des intelligences artificielles génératives – ChatGPT, Gemini, Perplexity, etc. – l’éducation française est prise dans un tourbillon technologique. À la clé, une promesse : alléger la charge de travail des enseignants, optimiser la transmission des savoirs, moderniser la pédagogie.

L’IA s’installe-t-elle trop vite et trop profondément dans le quotidien des enseignants, au point d’en fragiliser leur rôle essentiel ? Et surtout, quelle école se dessine lorsque élèves et professeurs en viennent à confier à la machine ce qui, hier encore, relevait du travail intellectuel humain ?

L’école face à la vague algorithmique

D’un côté, des professeurs trouvant dans ces outils – le plus souvent ChatGPT – un allié inattendu. Préparation de cours, correction de copies, création d’exercices : autant de tâches que l’IA exécute en quelques secondes, là où l’enseignant, hier encore, passait des heures.

De l’autre, une adoption qui s’opère sans cadre clair, sans formation généralisée, sans véritable réflexion sur ses conséquences. Car l’IA n’est pas un simple assistant numérique : elle produit, reformule, transforme. Elle façonne l’apprentissage. Mais qui contrôle réellement cette transformation ?

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Pas de véritable formation à l’IA pour les enseignants

Selon les déclarations d’Élisabeth Borne, seuls 20 % des enseignants français l’utiliseraient régulièrement. Un chiffre qui parait fort modeste, surtout en comparaison de l’adoption massive par les élèves : de nombreux collégiens y ont recours, et 90 % des élèves de seconde l’ont déjà utilisée pour leurs devoirs.

Un décalage vertigineux, qui interroge. Si l’enseignant devient dépendant d’un outil qu’il ne maîtrise pas totalement, comment peut-il former les élèves à en faire un usage critique et éclairé ?

Mais derrière ces chiffres se cache un paradoxe glaçant, révélateur d’une dérive profonde du système éducatif. Car si les enseignants adoptent ces outils pour alléger leur charge de travail, les élèves, eux, les détournent à leur profit, brouillant encore davantage les frontières entre savoir authentique et simulacre algorithmique.

Désormais, un lycéen peut, en quelques secondes, obtenir une dissertation rédigée par une IA, une analyse de texte argumentée, un devoir d’histoire truffé de références… tout cela avec une apparence de rigueur et de cohérence trompeuse. Face à cette vague, certains enseignants, eux aussi, s’appuient sur ces mêmes outils pour corriger et évaluer.

Et l’absurde survient :

➡️ Un élève confie son devoir à une IA.
➡️ Un professeur le corrige avec une autre IA.
➡️ À la fin, ni l’un ni l’autre n’a réellement produit ou évalué un travail intellectuel.

Dans cette boucle algorithmique, où l’intelligence artificielle se répond à elle-même, que reste-t-il du rôle fondamental de l’école ? Une éducation où la pensée critique, l’effort intellectuel et la construction du savoir sont délégués à des machines devient une coquille vide, un théâtre d’ombres où les humains se contentent d’orchestrer des échanges entre algorithmes.

Les risques d’un enseignement sous influence

Loin d’être neutre, l’IA charrie son lot d’erreurs, de biais et d’approximations. Pourtant, faute de temps et de formation, certains enseignants s’en remettent trop facilement aux réponses générées, reléguant la rigueur de l’analyse et la transmission du savoir à l’arrière-plan.

Des contenus parfois erronés, toujours standardisés
L’IA, aussi performante soit-elle, n’est pas infaillible. Faux historiques, erreurs factuelles, raisonnements biaisés : autant de dérives que l’utilisateur non averti ne perçoit pas toujours. Or, que se passe-t-il lorsque ces contenus biaisés s’infiltrent dans les cours ?

Un affaiblissement de la réflexion pédagogique
Loin de se limiter à un simple rôle d’assistant, l’IA façonne la manière dont les savoirs sont transmis. En automatisant la conception des cours et des exercices, elle tend à uniformiser l’enseignement, à aplanir les nuances, à effacer la subjectivité et l’adaptation aux élèves. Loin de libérer l’enseignant, elle risque de l’enfermer dans une dépendance technologique, où l’outil pense à sa place.

Vers une école sous influence algorithmique ?
Derrière ces risques se cache une question plus large : quelle école voulons-nous ? Une école où l’enseignant est un passeur de savoirs, un médiateur critique, un formateur de citoyens ? Ou une école où il devient un simple opérateur d’algorithmes, un exécutant des choix dictés par des lignes de code ?

Une réponse institutionnelle tardive

Conscient des dérives potentielles, le gouvernement tente de poser un cadre. Plusieurs initiatives sont annoncées :

Un module de formation à l’IA pour les élèves dès 2025, obligatoire en 4ᵉ et en seconde, pour apprendre à décrypter ces outils et leurs limites.
Une IA souveraine pour l’éducation, pensée pour assister les enseignants sans les aliéner, avec un appel à projets de 20 millions d’euros pour un déploiement en 2026.
Une charte éthique, attendue pour le printemps 2025, censée poser des règles claires sur l’usage de l’IA dans l’enseignement.

Si ces mesures marquent une prise de conscience, elles restent largement insuffisantes face à l’ampleur du bouleversement en cours.

L’IA, un outil ou un mirage ?

Car en définitive, c’est bien d’un choix de société dont il s’agit. L’IA générative peut être une alliée précieuse, mais elle ne saurait devenir une béquille aveugle, une délégation inconsciente de la mission première de l’enseignant : transmettre, interroger, éveiller.

À force de céder à la facilité algorithmique, ne risque-t-on pas d’abdiquer ce qui fait le cœur du métier ? Si l’IA façonne déjà notre rapport au savoir, il est encore temps de s’interroger : voulons-nous que l’éducation reste un espace de pensée critique, ou laissons-nous l’intelligence artificielle décider, à notre place, de ce que nous devons apprendre ?


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