Presse : une explosion des subventions publiques qui interroge

L’État a versé 204,7 millions d’euros à la presse, un record. Mais qui en profite vraiment ? Un soutien au pluralisme ou un renforcement des grands groupes détenus par des milliardaires ?

204,7 millions d’euros d’aides… en toute discrétion

Chaque année, la question du financement de la presse par l’État revient comme un serpent de mer. Un équilibre précaire entre soutien économique et indépendance éditoriale. En 2023 (derniers chiffres connus), les subventions publiques ont explosé, atteignant des niveaux inédits : 204,7 millions d’euros, soit presque le double de l’année précédente. Officiellement, ces aides garantissent le pluralisme et la diversité des médias. Officieusement, elles interrogent : soutiennent-elles un journalisme indépendant ou prolongent-elles artificiellement des modèles économiques essoufflés ?

Une hausse record des aides

Révélés en toute discrétion au début de l’été dernier 2024, ces chiffres n’ont fait l’objet d’aucune annonce officielle. Pas de conférence de presse, pas de rapport détaillé mis en avant. Pourtant, l’ampleur de l’augmentation aurait mérité un débat public.

Sur ces 204,7 millions d’euros, l’essentiel (133 millions) a servi à financer le transport et la diffusion des journaux. Les aides au pluralisme, destinées aux titres les plus fragiles économiquement, s’élèvent à 22,7 millions d’euros. Les subventions à l’investissement et à la modernisation atteignent 19,1 millions d’euros. En parallèle, les aides indirectes (notamment via une TVA super-réduite à 2,1 %) sont estimées à 84 millions d’euros.

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Pourquoi une telle discrétion sur une aide publique censée être un pilier de la démocratie ? La réponse tient peut-être moins à la transparence qu’à l’opportunité politique.

De nouvelles aides, une réforme déguisée ?

L’explosion des subventions s’explique en grande partie par une nouvelle « aide à l’exemplaire » (73,3 millions d’euros). Officiellement, il s’agit de compenser les difficultés logistiques du secteur de la presse. Mais qui en profite vraiment ? Les lecteurs, comme l’affirme l’État, ou les entreprises de distribution ?

Autre coup de pouce, l’aide exceptionnelle papier (30 millions d’euros), créée pour amortir l’impact de la guerre en Ukraine sur les coûts de production. Un soutien financier sans condition environnementale, alors même que la transition écologique devient un enjeu majeur.

Ces nouvelles allocations traduisent-elles une véritable réforme du système ou ne font-elles que masquer une crise structurelle de la presse française ?

Aides au pluralisme : un soutien vraiment efficace ?

L’un des objectifs affichés des aides publiques est de garantir l’accès à une information diverse et indépendante.

22,7 millions d’euros ont été distribués à 374 titres jugés économiquement fragiles. Parmi eux, des quotidiens comme La Croix, L’Humanité et Libération, dont la survie dépend en partie de ces subventions publiques.

Des publications alternatives en bénéficient aussi : Politis, Pèlerin, Causette. Mais ces aides à la presse suffisent-elles à contrebalancer la domination des grands groupes de médias ?

La presse numérique reçoit également une part du gâteau. Des sites comme Contexte, Africa Intelligence, Huffington Post ou Blast-info sont soutenus. À l’échelle locale, en revanche, le Fonds de soutien aux médias de proximité (FSMISP) ne pèse que 1,9 million d’euros.

Alors que l’État affirme vouloir défendre la diversité de l’information, il investit massivement dans les grands acteurs et laisse les plus petits survivre avec des miettes.

Qui capte réellement l’argent public ?

Derrière les discours sur le pluralisme médiatique, la répartition des aides financières révèle une concentration des ressources entre les mains de quelques groupes dominants.

En tête des bénéficiaires, LVMH (Bernard Arnault), qui a touché 12,3 millions d’euros pour la presse régionale et 5,5 millions pour la presse magazine. Juste derrière, la famille Dassault (10,6 millions), le groupe Bayard (9,2 millions), Le Monde (8,4 millions) et L’Humanité (6,6 millions).

Le milliardaire Daniel Kretinsky (Czech Media Invest) n’est pas en reste avec près de 8 millions d’euros. Côté presse régionale, le groupe EBRA (Crédit Mutuel) perçoit 6,4 millions d’euros, SIPA Ouest-France (Famille Hutin) 6,8 millions, Centre France – La Montagne 3,4 millions. Whynot Media (Rodolphe Saadé) capte 4,1 millions d’euros.

Cette concentration des aides interroge. Officiellement, elles sont censées garantir le pluralisme de la presse. Mais en réalité, elles renforcent le pouvoir de quelques acteurs dominants.

Presse et subventions : un modèle à bout de souffle ?

La presse française est-elle condamnée à vivre sous perfusion financière ? Chaque année, l’État injecte des millions d’euros, mais la crise du secteur persiste.

Alors que le paysage médiatique continue de se concentrer, une question demeure : ces aides publiques financent-elles réellement une information libre et diversifiée, ou servent-elles avant tout à préserver un modèle économique obsolète ?


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