Décembre 2022. Alors que les fêtes de fin d’année battent leur plein, Daniel Derichebourg orchestre un coup magistral. En doublant sa participation dans le capital d’Elior, il en prend le contrôle, passant de 24 % à 48 %. Le discret capitaine d’industrie quitte alors les coulisses pour s’installer aux commandes. À la surprise générale, il évince Bernard Gault et se nomme lui-même président. La stratégie est audacieuse, risquée même. En fusionnant Elior avec Derichebourg Multiservices (943 millions d’euros de chiffre d’affaires), il ambitionne de créer un mastodonte mondial. Une fusion qui, si elle réussit, rassemblera 134 000 salariés sous une bannière unique.
Mais Elior n’est plus le géant qu’il a été. Avec 427 millions d’euros de pertes en 2022, l’entreprise traîne les stigmates de la pandémie, une inflation galopante et l’échec cuisant de sa filiale américaine. Peu importe. Pour Derichebourg, c’est précisément dans ces défis que réside l’opportunité : un combat à mener, un empire à refaçonner. Sa devise implicite ? « C’est dans les turbulences que l’on forge les victoires. »
Un empire né de la ferraille
L’histoire de Daniel Derichebourg ressemble à ces sagas industrielles qui mêlent ténacité et intuition. Dans les années 1980, il hérite d’une petite entreprise familiale fondée par son père Guy, un ancien ferrailleur qui, dans les années 1950, parcourait les rues de Seine-Saint-Denis pour collecter des déchets métalliques. En autodidacte, Daniel reprend le flambeau et transforme l’héritage modeste en une multinationale européenne.
À coups de rachats audacieux – Penauille, Ecore – et d’une diversification savamment orchestrée, il hisse le groupe sur la scène internationale. Aujourd’hui, l’entreprise, cotée au CAC Mid 60, reste solidement ancrée dans le giron familial : 41 % des parts sont contrôlées par les Derichebourg. Une anomalie dans le paysage des grandes entreprises françaises, mais aussi une force. Chez les Derichebourg, on garde le cap en famille.
Un portrait en clair-obscur
Daniel Derichebourg fascine autant qu’il intrigue. Sa discrétion frise l’effacement : pas de portraits officiels, pas d’interviews fleuves. Même son site internet refuse de le dévoiler. Né en 1952 à Stains, il grandit entre une banlieue populaire et les colonies de vacances du Parti communiste. À 16 ans, il quitte les bancs de l’école pour se consacrer à l’entreprise familiale. La suite, c’est une succession d’actes décisifs, dont la vente stratégique en 1992 des activités de camions-poubelles à un acteur américain, qui lui permet de jeter les bases de son empire actuel.
Dans l’ombre, l’homme de fer trace sa route. Pas besoin de projecteurs pour diriger.
Un héritage en construction
Chez les Derichebourg, l’histoire s’écrit à plusieurs mains. Thomas et Boris, les fils de Daniel, sont désormais aux commandes de deux piliers du groupe : l’un pour l’environnement, l’autre pour les services aux entreprises. Mais pour eux, le défi est de taille. Comment perpétuer l’héritage familial tout en imprimant leur propre marque ?
Si le groupe reste fidèle à l’ADN familial, l’avenir promet d’être différent. Côté en bourse, il devra conjuguer expansion internationale et transparence. Dans ce nouvel écosystème, le luxe de l’ombre sera peut-être le premier sacrifice à faire.