L’an passé, les avantages accordés aux anciens Premiers ministres français ont coûté 1,58 million d’euros à l’État, en hausse de 23 % en deux ans. Alors que la France s’engage dans une cure d’austérité historique, cette générosité républicaine relance le débat sur les limites de la reconnaissance institutionnelle.
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Combien gagne un ministre ?
La République n’oublie pas ses anciens serviteurs. Mais la facture de cette mémoire institutionnelle pèse de plus en plus lourd sur les finances publiques. En 2024, les dépenses liées aux avantages accordés aux anciens Premiers ministres se sont élevées à 1,58 million d’euros, contre 1,42 million l’année précédente, soit une progression de 11 %, et une hausse totale de 23 % sur deux ans. En cause : l’accroissement du nombre de bénéficiaires — onze anciens chefs de gouvernement encore en vie — et une instabilité politique accrue depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024.
Dominique de Villepin arrive en tête des dépenses individuelles avec 207 072 euros, suivi de Bernard Cazeneuve (198 290 euros) et Jean-Pierre Raffarin (158 208 euros). À l’inverse, certains anciens Premiers ministres, tels que Jean Castex ou Laurent Fabius, n’ont perçu aucun avantage en raison de leurs fonctions publiques actuelles.
Un dispositif généreux
Depuis 2019, le décret n°2019-973 définit précisément les conditions d’attribution des avantages accordés aux anciens Premiers ministres. Il prévoit notamment la mise à disposition d’un secrétaire particulier pendant dix ans et, surtout, un véhicule avec chauffeur sans limitation de durée. Ces avantages sont suspendus en cas de mandat public ou de fonction rémunérée, afin d’éviter les cumuls de prestations.
En complément, une protection policière à vie est assurée par le Service de la protection de la police nationale (SDLP), une tradition républicaine non écrite, mais bien ancrée. Cette sécurisation, justifiée par des risques persistants, représentait déjà un coût de 2,6 millions d’euros en 2018.
Outre le secrétariat et le véhicule, chaque ancien Premier ministre perçoit une indemnité de départ équivalente à trois mois de salaire — environ 48 000 euros bruts — à condition de respecter ses obligations déclaratives auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Ce montant, réduit de moitié en 2013, n’est versé que si aucun emploi rémunéré n’est repris immédiatement.
Ces privilèges ne s’accompagnent pas des mêmes avantages que ceux réservés aux anciens présidents de la République (bureaux, transports gratuits), mais ils confèrent malgré tout un statut symbolique fort, renforcé par l’attribution systématique de décorations honorifiques : Légion d’honneur ou ordre national du Mérite, selon la durée du mandat.
Comparaisons internationales : la France en décalage
À l’étranger, la générosité française étonne. En Allemagne, Gerhard Schröder a perdu ses avantages en 2022 en raison de ses liens controversés avec la Russie. Au Royaume-Uni, les anciens Premiers ministres perçoivent une aide plafonnée et peuvent choisir d’y renoncer, comme l’a fait Liz Truss après un mandat éclair. Aux États-Unis, seul le président bénéficie d’un traitement comparable à celui des anciens Premiers ministres français, avec pension à vie, budget de fonctionnement et protection des services secrets.
Ce contraste met en lumière une singularité française : l’automaticité des privilèges, quelle que soit la durée ou l’efficacité du mandat.