La justice est lente, dit-on souvent. Mais ce n’est pas seulement le rythme des décisions qui pose problème : c’est aussi ce temps invisible, insaisissable, perdu dans l’attente des couloirs de tribunaux. À Montpellier, trois élèves-avocates et un développeur veulent redonner aux professionnels du droit le contrôle de ces heures perdues, grâce à une application baptisée Audirect. Une idée simple, presque évidente, qui pourrait transformer discrètement le quotidien des tribunaux français.
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Audirect, née d’une frustration professionnelle
Tout est parti d’une frustration. Celle des jeunes avocats, sommés d’arriver à neuf heures devant une salle d’audience qui ne les verra peut-être plaider qu’en début d’après-midi. Une attente anxieuse, improductive, qui pèse lourd sur les épaules des professionnels débutants. Laura Bièvre, Lucie Fleury et Lucie Lussan, élèves-avocates à l’École des avocats Centre Sud de Montpellier, en savent quelque chose. Aidées par Loïck Meyer, spécialiste du développement web, elles imaginent Audirect au cours d’un Legal Hackathon. Leur idée décroche vite un consensus : la gestion opaque du temps judiciaire est un enjeu criant de modernité.
Une application pensée par et pour les avocats
Concrètement, Audirect fonctionne comme une plateforme à deux visages. Le premier, Audirect Mandatement Commun, s’adresse aux audiences intermédiaires, où les avocats peuvent déléguer leur présence à un confrère. L’application centralise les instructions et affiche en temps réel l’évolution des audiences. Plus besoin d’être sur place sans raison : chacun sait exactement quand son tour arrive. Un gain évident de sérénité.
Le second volet, Audirect Plaidoirie, concerne les audiences principales. Ici, les avocats signalent en avance leurs intentions : plaider, reporter, déposer des conclusions écrites. L’application en déduit un ordre de passage, actualisé en direct selon les impondérables. Les notifications tiennent chacun informé, minute par minute. Le papier, largement dominant aujourd’hui, pourrait ainsi céder progressivement la place à un système digitalisé, clair et réactif.
Un outil numérique au service de la solidarité
Derrière l’aspect pratique, c’est aussi un enjeu humain qui émerge. La profession d’avocat, particulièrement au début, s’accompagne d’une pression intense. Un avocat sur cinq quitte le barreau dans les dix premières années, souvent victime d’épuisement mental. Audirect propose simplement un peu de visibilité, une prévisibilité devenue indispensable dans une profession trop souvent synonyme de stress et d’incertitude.
Mais attention : il ne s’agit pas d’effacer les traditions judiciaires, plutôt de mieux organiser une solidarité professionnelle déjà existante. La confraternité, inscrite dans le serment des avocats, trouve ici un relais numérique sécurisé et formalisé. Ce que les avocats faisaient jusque-là par arrangement informel, Audirect le structure, le sécurise et le modernise. Une logique de bon sens, plutôt qu’une révolution brutale.
Le projet, d’ailleurs, ne passe pas inaperçu : après avoir été primé au Legal Hackathon de Montpellier, Audirect vient d’obtenir une reconnaissance nationale en remportant le Concours Projets Innovants 2024 organisé par le Conseil national des barreaux. Une distinction qui ouvre une enveloppe de 5 000 euros et une aide précieuse à son déploiement.
Vers une généralisation dans les barreaux français
Montpellier sera le laboratoire initial, avec l’espoir d’étendre rapidement l’expérience à d’autres barreaux français. À l’horizon 2027, Audirect pourrait même s’inscrire pleinement dans la grande transformation numérique du système judiciaire voulue par les pouvoirs publics. Son interface déjà flexible prévoit une intégration de données statistiques et, pourquoi pas demain, une gestion automatisée des rôles d’audience.
Sans prétendre réinventer radicalement le fonctionnement des tribunaux, Audirect apporte une réponse pragmatique à une question de société. En remettant le temps au centre des préoccupations judiciaires, elle esquisse les contours d’une justice non seulement plus fluide, mais aussi, tout simplement, plus humaine.
