On parle souvent des erreurs de prescription. Mais beaucoup moins des réactions chimiques imprévues quand deux médicaments, pourtant bien prescrits, se croisent dans une même perfusion. Ces incompatibilités physico-chimiques – un sujet un peu abscons, disons-le – peuvent pourtant tuer. Jusqu’à 900 risques de décès par jour dans les hôpitaux, estime DrugOptimal, une start-up iséroise fondée en 2022. C’est énorme. Et c’est surtout évitable.
Ce jeune acteur de la deep tech, né à Meylan (près de Grenoble), veut corriger un angle mort de la sécurité hospitalière. Aux commandes, Lugan Flacher, pharmacien de formation, et Mathieu Gasc, ingénieur qualité. Leur idée ? Utiliser l’intelligence artificielle non pas pour remplacer les médecins, mais pour leur éviter de faire des mélanges explosifs à leur insu. Car aujourd’hui, même dans les services de réa, la compatibilité des médicaments est encore souvent vérifiée à la main, au téléphone, ou via des bases de données limitées. On parle d’un sujet à la fois critique et terriblement artisanal.
Un algorithme en blouse blanche
Le logiciel développé par DrugOptimal permet de tester jusqu’à dix médicaments en simultané, contre deux aujourd’hui avec les outils classiques. Il scanne, il compare, il anticipe. Il se base sur 22 000 articles scientifiques et les données expérimentales de son propre laboratoire. Résultat : une base de connaissances multipliée par six, avec déjà 100 000 couples de médicaments analysés, et une précision revendiquée de 96 %. Mieux que les sources traditionnelles, affirment ses fondateurs. Et surtout, bien plus rapide qu’un appel au pharmacien de garde un dimanche soir.
C’est plus qu’un outil. C’est une boussole dans un labyrinthe chimique où une mauvaise combinaison peut devenir létale. Dans les services de cancérologie ou de soins intensifs, où les cocktails intraveineux sont la norme, l’apport pourrait être massif.
Un pari technologique… mais surtout sanitaire
DrugOptimal a déjà convaincu quelques pionniers : le CHU de Grenoble, des Ehpad, et neuf autres établissements pilotes à Paris et à Lyon. Des études cliniques démarrent avec le CHU de Nantes pour mesurer l’impact réel sur le terrain, en termes de sécurité et d’économie. Objectif affiché : 60 hôpitaux équipés dans les deux ans, et un chiffre d’affaires récurrent d’un million d’euros. Ce n’est pas gigantesque, mais dans le monde de la santé, on sait que les premiers pas sont les plus durs.
Les investisseurs, eux, suivent. Après un premier tour à 450 000 euros en 2023, la jeune pousse vient de lever 2,9 millions d’euros pour accélérer. Elle vise 10 millions à horizon trois ans pour s’attaquer au marché américain – plus de 7 milliards d’euros au global pour ce créneau de niche qui ne l’est pas tant.
Pas de robot, pas d’implant, pas de miracle
Ce que propose DrugOptimal n’a rien de spectaculaire. Pas de robot, pas d’implant, pas de miracle. Juste un logiciel intelligent, rapide, rigoureux. En un mot : utile. Le genre d’innovation discrète mais décisive, celle qui sauve des vies sans faire de bruit. On comprend pourquoi la start-up a été sélectionnée parmi les « 100 dans lesquelles investir » par le magazine Challenges.
Dans un système de santé sous pression, où chaque erreur coûte cher – en vies et en euros – l’IA peut devenir un allié puissant. À condition de la mettre là où elle compte. DrugOptimal, en misant sur l’invisible mais vital, montre que c’est possible.