L’histoire commence à Nantes, mais l’étincelle jaillit à des milliers de kilomètres. Deux étudiants de 22 ans, Frédéric Mugnier et Nicolas Rohr, reviennent d’un séjour universitaire en Chine avec une idée en tête : créer une marque de chaussures écoresponsables.
Pas de business angels ni de levées de fonds tonitruantes à l’époque, juste un peu de love money glanée dans leur entourage, des prêts étudiants, et une première production de 5 000 paires de baskets, vendues en direct. Le genre d’audace qui ne s’apprend pas dans les écoles.
A LIRE AUSSI
Veja : décryptage d’un succès mondial
Une croissance autofinancée
Dix ans plus tard, Faguo a déjà vendu près d’un million de paires. La marque s’est taillée une place dans le paysage de la fair fashion, grâce à des collaborations bien choisies et un ancrage solide dans le commerce de détail, qui pèse pour moitié dans son chiffre d’affaires, devant le réseau de grossistes (30 %) et le e-commerce (20 %).
Mais c’est en 2023 que la trajectoire s’infléchit vraiment. L’entrée de NextStage AM et de Sodero, à hauteur de 25 % du capital, injecte 15 millions d’euros dans la machine. L’opération signe aussi le retrait du groupe Eram, actionnaire depuis 2012, qui avait accompagné l’essor à l’international.
Les fondateurs reprennent les commandes. Et, dans la foulée, les salariés sont invités à entrer au capital via la loi Pacte – une initiative encore rare dans le secteur.
Cette levée de fonds ne se limite pas à une opération financière : elle déclenche une nouvelle phase de développement. L’entreprise compte désormais 170 salariés, 50 boutiques (dont 40 en propre), et prévoit au moins cinq nouvelles ouvertures par an. Plus encore, elle muscle son effort de R&D, un levier crucial pour son ambition environnementale.
Une stratégie anti fast fashion
Depuis sa naissance, Faguo avance à contre-courant de la fast fashion. Pas de collections à flux tendu, pas de soldes massives ni de Black Friday. À la place, une obsession : réduire l’empreinte carbone. Nicolas Rohr résume l’ambition : « Habiller une génération avec un vestiaire qui émet le moins de CO₂ possible ».
Ce n’est pas une formule. La marque a été parmi les premières à adopter le double affichage CO₂-euros. Elle plante un arbre pour chaque produit vendu – près de 4 millions à ce jour. Et elle implique ses fournisseurs dans cette exigence : aujourd’hui, 80 % de ses produits intègrent des matériaux recyclés.
Le mot-clé : innovation. En février 2024, Faguo lance la sneaker Carbon Capture, développée avec la biotech LanzaTech. Le concept ? Un fil recyclé enrichi en CO₂ capté dans l’industrie, transformé en matériau durable. Le tout intégré dans une chaussure.
Dans la même veine, la marque conçoit des semelles à partir de balles de tennis usagées. Des produits qui racontent une histoire industrielle, autant qu’écologique.
Croissance verte et rentabilité
Cette rigueur porte ses fruits. En dix ans, les émissions liées aux collections ont été divisées par deux, grâce à l’usage croissant de matières recyclées et biosourcées (comme le coton et le polyester). Le chiffre d’affaires suit : 34 millions d’euros en 2024, contre 27 en 2023. Objectif affiché : franchir les 40 millions dans les trois prochaines années, en capitalisant sur l’ouverture de nouvelles boutiques – une dizaine rien que cette année.
Mais la performance ne se limite pas aux chiffres. Faguo reste rentable depuis ses débuts, un exploit dans une industrie qui sacrifie souvent la marge à la croissance. La clé ? Des produits hybrides, pensés pour durer et pour éviter la duplication : des vêtements à porter aussi bien en ville qu’en pleine nature.
La cohérence se poursuit en boutique. Depuis 2021, Faguo déploie un concept retail bas carbone : peintures à base d’algues, surfaces recyclées, espaces dédiés à la seconde main, et ateliers de réparation mensuels. Une manière de prolonger l’acte d’achat dans une logique circulaire – et de créer du lien.
Et ce lien fonctionne. Discrète dans sa communication, la marque s’appuie sur son emblème, un arbre stylisé devenu signe de reconnaissance. « On sent désormais qu’il y a une fierté à porter notre arbre », sourit Nicolas Rohr. Une fierté partagée, à en croire la croissance continue du réseau.
Faguo, entre Veja et Patagonia
Faguo ne revendique pas une révolution, mais une réinvention raisonnée. Une croissance maîtrisée, un cap clair, et une capacité rare à transformer des convictions écologiques en actes économiques. À l’heure où la mode responsable peine encore à sortir de la niche, la marque impose une alternative crédible. Elle ne court pas après la tendance, elle trace une voie.